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Silvia Dore et Eddy Terki, retour sur le projet Navire Avenir

Chercheuse en design et enseignante au sein du Campus Fonderie de l’Image, Silvia Dore revient, avec Eddy Terki, sur le projet Navire Avenir. Un chantier naval, dont l’objectif est de mettre à flot, d’ici 2024, un bateau de sauvetage en mer, qui se présentera comme lieu d’accueil, de soin, mais aussi comme navire manifeste et témoin. Un projet pharaonique auquel ont participé les étudiants du Campus Fonderie de l’Image.

Nous étions invités par Civic City à participer au projet international et pluridisciplinaire “Inscriptions en relation” au Musée de l’immigration. Avec Stéréo Buro, nous avons organisé un workshop au Campus Fonderie de l’image avec la création d’un journal “décoloniale” exposé au musée et une rencontre entre les classes de plusieurs écoles internationales. Eddy Terki a participé à une table ronde sur la question de l’inscription dans l’espace public où il a présenté son travail en se concentrant sur un projet d’inscription calligraphique à l’Institut du Monde Arabe.


Suite à cet événement, Sébastien Thierry a organisé avec le collectif Perou et Civic City un appel à contribution pour Navire Avenir, afin d’apporter une réflexion au sujet de la construction d’un navire pour venir en aide aux migrants en mer Méditerranée pour faire face à la vague migratoire sans précédent que nous vivons. C’est à partir de ce moment que notre collaboration prend forme et que le projet sur l’espace de refuge commence.

Nous avons été invités début novembre par Sébastien Thierry afin de le rejoindre au Centre choréographique national de Montpellier pour rencontrer les architectes du projet, Marc Van Peteghem et Marc Ferrand, ainsi que le collectif PEROU et, de ce fait, travailler à l’échelle 1 du navire. 


Lors de ce temps de rencontre, nous avons décidé de nous concentrer sur le refuge qui est l’espace le plus intime du navire. Le défis de cet espace nous semblait évident car les rescapés allaient l’occuper par groupe de 6 personnes sans forcément se connaître, après un traumatisme assez dur. Ainsi, nous nous sommes demandé en quoi le design graphique pouvait-il être porteur de sens à cet endroit ? Comment pourrions-nous nous adresser à eux.elles en plusieurs langues ? Quelles histoires raconter ? Quels sujets aborder ? Quelles images créer ? Ainsi, en quoi un espace de sommeil peut-il devenir un espace d’accueil et de rêve ? Quels messages, narrations, cartographies imprimer sur les toiles tendues de l’espace refuge afin de glisser dans l’espace du sommeil et des rêves des signes de celles et ceux qui en Europe font l’hospitalité ?

Le design graphique est un outil pour donner à voir, faire comprendre et rendre lisibles des enjeux complexes de notre société afin de donner du pouvoir aux citoyens d’agir. Nous voulons par le design graphique apporter des messages d’hospitalité, mettre en forme des éléments d’information, plus ou moins sensibles, plus ou moins concrets, au sujet du territoire européen, au sujet des lieux / collectifs / gestes qui en Europe accueillent et accueilleront.

Par le design graphique, et plus particulièrement l’apport plurilingue des écritures, ou encore le langage universel des pictogrammes, nous souhaitons donner des outils de lecture pour des actions pratiques sur le présent du navire, et futures une fois arrivés à port.

La représentation de la cartographie, informative ou poétique, permet encore de visualiser un territoire et un déplacement, mais aussi une place individuelle dans un ensemble. C’est un exercice de représentation riche et passionnant, qui permet de rendre les supports existants et banaux plus accueillants par la création de signes qui traduisent l’idée du partage, du lien et du dialogue.

Mes étudiant.e.s en design graphique ont la chance de pouvoir travailler en alternance, ce qui leur donne l’opportunité de se confronter au monde professionnel. Je pense que ce projet est l’occasion pour eux.elles de se confronter à une forme de réelle, plus sensible, plus humaine et plus engageante. C’est la raison pour laquelle il nous semblait important de faire le lien avec le Campus et nos élèves.

Ce projet leur permet de faire partie d’un panel de disciplines plus vaste : les architectes qui construisent le navire, les sauveteurs qui apportent des précisions sur l’état émotionnel des rescapés, des aides-soignantes qui interrogent les premiers gestes des soins et secours. Ce sont des données à prendre en compte en tant que design graphique dans le projet. Il s’agit de penser de manière plus ample aux questions liées à aux espaces et aux usages du Navire : se déplacer, interagir entre cultures et langues différentes, de manière intergénérationnelle et encore rêver d’un futur meilleur possible.

Les élèves ont alors pensé à l’échelle de la couchette, mais également à celle de l’espace de la cellule de refuge et à celle du Navire. Les signes graphiques proposés permettent de nouvelles formes d’interactions sociale.

Ainsi, le lien nous l’avons imaginé via un workshop en trois temps afin de leur laisser le temps de développer leur projet. La première rencontre a eu lieu le 1er décembre avec la présence en distanciel de Sébastien Thierry pour présenter les enjeux du projet. Les élèves se sont rapidement emparés du sujet afin de construire une première intention conceptuelle. Avec Eddy, nous avons pris le temps d’encadrer ce workshop entre chaque séance afin de les aider à développer leur projet. La seconde séance a eu lieu le 12 janvier ou nous avons réagi aux premières maquettes en vue de la réalisation échelle 1 pour la séance du 26 janvier. Nous avons invité à ce moment Lucile Pincon, étudiante de DNMADE Graphisme en action au lycée Garamont, à assister au rendu et nous accompagner sur la restitution finale. Nous l’avions rencontrée à Montpellier car elle mène son projet de mémoire sur le projet Navire/Avenir. Il nous semblait intéressant de donner place à Lucile afin d’ouvrir le projet et de permettre au Campus de faire lien avec une autre école.

Ce projet a également la particularité d’être ouvert aux écoles du monde entier, il invite donc à une réflexion collective. C’est sensiblement la démarche que je développe pour le nouveau master au sein du Campus Fonderie de l’Image, où le design graphique se confronte aux problématiques sociétales. Cette formation interdisciplinaire souhaite former et initier les designers à une posture critique de “praticiens-chercheurs”. De ce fait, développer un regard critique sur leur pratique leur offre toutes les clefs pour travailler avec des entreprises soucieuses des problématiques de société, en apportant une réflexion éthique et sociale. Les futurs designers graphiques pourront alors participer activement à des transformations contextuelles.

L’apport pédagogique premier est celui de les sortir de l’école et de sujets imaginaires pour les confronter à des sujets de société ou l’enjeux du design graphique n’est pas seulement formel mais également contextuel. Quand les élèves s’investissent dans le projet, ils se posent plein de questions durant le workshop sur la portée de leur forme, la justesse de leur réponse et l’impact qu’elle va avoir. Ainsi, il nous semblait important de re contextualiser leur futur métier et de leur donner une place plus concrète et plus engageante.


Un autre apport pédagogique important est celui de travailler en groupe. Penser un projet en collectif mettant les richesses et singularités de chacun.e au service du projet. Avec Eddy nous défendons une qualité d’écriture graphique qui peut se forger au sein de projets collectifs. L’apport de l’autre, dans la question plurilingue qui intéresse Eddy, ou dans celle de mise en espace pour moi est un enrichissement premier. Savoir également que l’on fait partie d’un plus grand groupe, formé d’autres écoles et disciplines, permet de penser un projet en relation aux autres.


Enfin, la problématique sociale actuelle de la migration ne peut pas être plus importante. Le design est là pour imaginer des prototypes à usages universels dans nos diversités. Penser et donner forme au vivre ensemble est pour nous l’enjeu des designers graphiques de demain. Il faudrait imaginer d’ailleurs de nouveaux navires terrestres…

La suite du projet va se dérouler à Marseille, premier lieu d’accueil où seront présentés les projets des écoles participantes. La restitution a été imaginée en deux temps : dans un premier temps une soirée de rencontre à Coco Velten est organisée le 9 avril, avec une mise en espace simple afin de voir les projets. Dans un second temps, nous serons de nouveau à Marseille le 25 juin. Ce jour-ci une marche collective est organisée vers le musée du Mucem avec l’ensemble des productions. Ainsi, le MUCEM va accueillir et indexer l’intégralité des projets dans leur archive, ce qui constitue une protection et une conservation au vue de recherches futures. Le 25 juin sera également le temps de découverte de l’édition que nous allons réaliser, qui donnera à voir et à lire l’ensemble du projet et des démarches des élèves durant ce workshop.


Avec Eddy nous souhaitons développer le projet afin de l’ouvrir davantage. En effet, en tant que Génoise, je souhaite faire du port de Gênes, un autre point d’accueil du projet, car il est un repère d’accueil historique. Cette suite, nous l’imaginons en collaboration avec l’Université de design et d’architecture de Gênes pour pouvoir continuer la réflexion avec leurs étudiants en design naval et graphique et ceux du Campus fonderie de l’image du nouveau master qu’on développe avec Jean-Marc Bretegnier et dans lequel Eddy Terki enseignera.

Découvrez l’interview des étudiants ayant participé au projet 

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