Bonjour Eliza, tout d’abord félicitations pour votre projet de diplôme que vous venez juste de soutenir. Après un parcours de cinq ans en formation en alternance au Campus Fonderie de l’Image (BTS, CDCG UX) vous présentiez donc votre projet de diplôme de DCDG (Directeur-e de création en design graphique éco-responsable, niveau 7). En quoi consiste-t-il ?
C’est un projet d’identité territoriale. Avec l’écriture de mon mémoire je suis arrivée au constat que les territoires de France étaient souvent mal représentés visuellement, résumés et réduits à des signes dénués de sens. L’idée de ce projet n’était pas tant de proposer « la bonne identité visuelle », mais plus d’ouvrir le dialogue et montrer qu’une autre manière de traduire graphiquement les territoires était possible. L’identité territoriale est un support délaissé par le monde du graphisme et peu de designers ont cherché à mettre en place un autre système de représentation. Pourtant il me semble que c’est le premier support qui représente les citoyens et de manière plus large notre société. C’est un projet qui invite à se questionner sur comment l’on souhaite la représenter. De cette réflexion, j’ai cherché à mettre en place une identité territoriale pour les régions de France permettant de montrer leur richesse et leur complexité sans les résumer. Mon principe s’appuie sur l’étude des territoires et de leurs composantes (paysages, administrations, tourisme, transports…) pour en développer des cartes qui mèneront à des figures. L’idée est de pouvoir ajouter des couches de composantes en fonction des besoins des régions. C’est un projet à mi-chemin entre l’identité et la cartographie.
Comment êtes-vous entrée dans l’univers du design graphique ?
J’ai eu un parcours scolaire assez chaotique, dès le milieu du collège j’ai complètement abandonné l’école et le corps enseignant m’a rapidement laissée tomber. Ma mère qui était inquiète pour moi a cherché des voies pouvant m’intéresser. J’ai toujours été très sensible à l’art de manière générale : la musique, le dessin, le chant… Elle m’a proposé d’intégrer un Bac Pro en design graphique dans un lycée parisien. Ce fut une révélation, j’ai eu des professeurs incroyables qui ont vite cru en moi et m’ont poussé à aller plus loin. Travailler devenait un réel plaisir et une source d’épanouissement. Je n’ai pas de suite appelé cela du design graphique, c’est au fil des années et en commençant l’alternance que je suis devenue plus exigeante avec ma pratique et plus critique.
Quel a été votre parcours professionnel jusqu’à ce jour et quel rôle a joué l’alternance dans votre parcours ?
J’ai d’abord effectué un Bac Pro Design graphique (plutôt orienté print), durant ces trois années j’ai effectué différents stages dans des agences telles que Dragon Rouge ou Terre de Sienne. Puis j’ai commencé mon alternance dans l’agence Bronx, en BTS Print, en Licence Ux Design puis en Master Direction de Création. L’alternance a donné une autre dimension à mon approche du design : très tôt j’ai été confrontée à l’exigence des clients. Ce parcours m’a permis d’évoluer dans les compétences et de grandir en tant que professionnelle et individu. Chez Bronx, j’ai reçu rapidement beaucoup de responsabilités, ils et elles m’ont placée sur des projets importants en me laissant de la place graphiquement.
Qu’est-ce qui vous a amenée à venir étudier au Campus et à y suivre toutes vos études ?
Aujourd’hui, l’alternance est une scolarité plus répandue, mais il y a cinq ans quand j’ai commencé il y avait peu de choix d’écoles. Le Campus a toujours eu une approche artistique contrairement à d’autres écoles proposant de l’alternance qui se positionnaient plus comme des écoles de communication, c’est pourquoi je me suis dirigée vers ce choix d’établissement et de contrat.
Quels ont été pour vous les moments forts de cette dernière année au Campus ?
L’année a vraiment été très riche entre l’événement Latitude Graphique*, réalisé en septembre dernier à La Générale, le mémoire, le diplôme… Mais si je devais retenir un moment, je choisirais le jour où j’ai présenté mon mémoire de fin d’études qui porte également sur les questions de territoire, c’est le point de départ de tout mon diplôme. Je n’étais pas sûre de mon sujet ni de mon approche et pourtant cet oral a été un moment assez magique. Comme une révélation sur le type de design que je voulais faire. L’un des membres du jury, Pauline Escot (graphiste-chercheuse, elle s’intéresse également aux territoires), m’a félicitée pour la position que je prenais dans mon mémoire et m’a encouragée à continuer vers une thèse, poursuite à laquelle je n’avais jamais songé.
*Workshop à la MABA organisé pour les étudiant-es en design graphique qui s’est tenu en novembre 2018.
Avez-vous été marquée par une rencontre au long votre cursus ?
Oui, il y a d’abord eu la rencontre avec une équipe, celle de l’agence Bronx, qui m’a soutenue tout au long de mes études aussi bien sur l’aspect professionnel que personnel. Elles m’ont toujours aidé à surmonter les difficultés de ce milieu. Il y a aussi eu la rencontre en Master avec mon amie Clémence Burgot qui a complètement modifié ma vision du design en lui donnant une dimension plus expérimentale.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu ?
D’être fière de son travail et d’assumer ses propos et parti pris.
Quelles références et influences graphiques retrouve-t-on dans votre travail ?
L’architecture m’inspire beaucoup, les jeux de formes et de matières m’amusent. J’aime le travail du studio Travaux Pratiques, leur travail sur le signe et le symbole. Joost Grootens pour sa vision du territoire et de la cartographie. L’atelier Ter Bekke & Behage ou encore le studio Les Graphiquants, pour leur utilisation de la typographie. Je suis très sensible à la fabrication et à l’édition c’est pour cela que j’aime bien aller me perdre dans le Tumblr nommé Tranche, il regroupe de nombreuses éditions aux façonnages inspirants.
Comment expliqueriez-vous ce qu’est le design graphique à une personne qui n’a pas suivi le même parcours que vous ?
C’est une question très compliquée. Le terme design graphique peut vouloir dire des choses très différentes. Je crois que c’est une discipline qui englobe aussi bien le graphisme, que l’architecture ou bien les arts appliqués. Tout dépend aussi de la position que prend le designer : est-il artiste ou graphiste ? Pour moi le design c’est avant tout retranscrire et procurer des émotions grâce au visuel, à la mise en page ou à la typographie. Le designer ou la designeuse a le pouvoir de faire évoluer les mentalités et d’ouvrir le dialogue sur des problématiques qui touchent notre société, notre histoire et notre évolution.
Dans quel environnement souhaitez-vous voir s’inscrire votre travail dès à présent ?
Au regard de mon parcours, je me rends compte que mon travail s’est toujours orienté vers les notions de territoire, d’urbanisme et de collectivité. J’aime penser que le design peut aider à rapprocher les espaces vivants, à les faire cohabiter et à créer du lien social.
Quels sont vos coups de cœur graphiques du moment (édition, affiche, cinéma, exposition…) ?
Il commence à dater un peu, mais j’aime beaucoup le mobilier d’exposition développé par le studio Travaux Pratiques. Les affiches de la Seine Musicale de Caen, réalisées par le studio Murmure. Et pour finir le magazine Revue, une édition qui s’intéresse à l’art, la mode et la photographie. Finalement des créations qui sont un peu éloignées de mon univers graphique, mais qui pourtant m’inspirent.
Qu’aimeriez-vous dire aux futur-es étudiant-es du Campus en design graphique ?
Accrochez-vous ! L’alternance est un parcours difficile et malheureusement encore critiqué. Il faudra peut-être se battre plus que des élèves issu-es d’autres écoles, mais une fois votre scolarité terminée vous serez fièr-es du travail accompli. Pensez aussi à garder une part d’expérimentation dans votre travail, l’alternance nous plonge rapidement dans le monde professionnel, avec les contraintes qu’il représente, en nous éloignant du développement d’un propos graphique personnel, engagé parfois, poétique.
Votre livre de plage pour cet été ?
Je sors doucement la tête de l’eau après mon diplôme donc je n’ai pas encore choisi mes lectures pour cet été, mais je suis tombée sur le livre de David Foenkinos nommé « Charlotte »*. C’est le portrait de l’artiste Charlotte Salomon. Ce genre d’histoire m’inspire beaucoup.
*« Charlotte » est un roman de David Foenkinos qui s’inspire de la vie de Charlotte Salomon, peintre allemande morte à Auschwitz à vingt-six ans, alors qu’elle était enceinte.